Déconstruire les clichés sur la “Voie Professionnelle”.

La rentrée scolaire de 2023 a été marquée par la réforme du lycée professionnel, un sujet brûlant de l’éducation en France. Lors de la présentation de cette réforme en mai, le président Macron a insisté sur la nécessité de rendre la filière professionnelle attractive, la transformant en une voie de réussite et d’excellence. En filigrane, le portrait d’un élève en difficulté, orienté par défaut et enclin au décrochage, semblait se dessiner.

Ces discours et propositions s’inscrivent dans une longue tradition d’efforts pour revaloriser la filière professionnelle, une démarche entreprise depuis plus de 50 ans.

Il n’est pas surprenant de retrouver ici les stéréotypes courants, décrivant le lycée professionnel (LP) comme un refuge pour les élèves en rupture avec l’école, ou ceux qui n’apprécient pas certaines matières, comme les mathématiques.

Mais est-ce que les élèves inscrits dans cette filière ont vraiment une relation aux connaissances si différente de leurs camarades préparant un baccalauréat général ?

Une Approche Pratique des Connaissances

La question fondamentale pour ces élèves est celle du sens qu’ils donnent à l’école et à l’apprentissage de nouvelles choses. En fonction de leur contexte social et de leur expérience passée à l’école, les élèves en LP ont développé principalement une approche pratique des connaissances. Cela signifie qu’ils évaluent l’intérêt des activités proposées et la pertinence des connaissances enseignées en fonction de leur utilité pratique.

Ils privilégient donc l’apprentissage empirique et les connaissances professionnelles qui ont un impact direct sur la réalité, tout en rejetant la théorie et les connaissances abstraites. Cette approche sociologique esquisse une image du public de LP que l’on retrouve dans les discours institutionnels ou dans les recherches sur l’enseignement des mathématiques.

On avance souvent que les élèves en LP préfèrent l’apprentissage empirique. Pour les acteurs de l’éducation, c’est une évidence. Les réformes récentes ont mis en avant les aspects pratiques de la formation à travers la pédagogie de projet ou des dispositifs tels que le chef-d’œuvre ou le co-enseignement. L’objectif est clair : aider ces élèves à redécouvrir le sens et le plaisir des études.

Mais cette focalisation sur l’aspect social des élèves soulève des questions. Les enseignants essaient-ils de s’en éloigner pour construire leur cours ? Ou considèrent-ils cette facette sociale comme une caractéristique incontournable de ces élèves, faisant partie intégrante de leur nature, comme s’ils étaient destinés à être mauvais en mathématiques, par exemple ?

Cependant, il est important de noter que la filière professionnelle est loin d’être homogène. Elle se décline en de nombreuses spécialités, en fonction des besoins locaux en main-d’œuvre. De plus, bien que la majorité des élèves de cette filière partage cette approche pratique des connaissances, elle n’est ni absolue ni figée dans le temps.

Des Clichés qui Évoluent

L’image même de l’élève en LP, telle qu’elle est présentée dans les discours, doit être interrogée. L’enseignement des mathématiques est un prisme intéressant pour analyser ces représentations. Comment enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté, supposés incapables d’abstraction et en rupture avec la matière ? Ce sont là des termes employés depuis 1945 par divers acteurs éducatifs, montrant que ce débat est loin d’être nouveau.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la filière professionnelle était une voie désirée. Certains enseignants mettaient en avant les difficultés des élèves en mathématiques, mais davantage pour célébrer leurs qualités que leurs lacunes. Ils opposaient l’aptitude à l’action et au concret de ces futurs professionnels au bachelier, plus enclin à la spéculation intellectuelle mais moins capable de réaliser des tâches pratiques.

À la fin des années 1960, la voie professionnelle a subi une dévalorisation progressive. La réforme des mathématiques modernes, qui a placé la théorie au cœur de l’apprentissage, a érodé cette image positive. Les élèves de LP sont alors perçus comme des élèves comme les autres, mais en difficulté avec les mathématiques. Cependant, au fil des années 1980, ces élèves ont été décrits comme en rupture avec la discipline, voire avec l’école en général. Cette transformation a conduit à une diminution des attentes académiques, notamment en mathématiques.

Les clichés sur les élèves de LP sont donc en constante évolution, reflétant les changements sociaux et éducatifs au fil des décennies. Cependant, il est essentiel de se rappeler que ces stéréotypes ne représentent pas nécessairement la réalité vécue par les élèves, dont l’expérience scolaire est souvent déterminée par leur engagement dans des projets personnels ou professionnels qui leur tiennent à cœur, au-delà des distinctions pratiques ou théoriques des disciplines. En ce sens, ils ne diffèrent pas fondamentalement de leurs pairs en filière générale.

Source : Elsa Maudet : “A Orange, Emmanuel Macron fait sa prérentrée et vante sa réforme du lycée professionnel”, Libération le 01/09/2023. https://www.liberation.fr/societe/education/a-orange-emmanuel-macron-fait-sa-prerentree-et-vante-sa-reforme-du-lycee-professionnel-20230901_W553M6PZEFA2XCHG4IPN32VTEQ/